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ICI-BAS

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Cécité cosmique


Présence floue, intime et sans partage,
L'esprit naissant se modèle aux contours
De la réalité, fuyant nuage
Dont il aspire à maîtriser le cours.

Son être plonge et se déploie en elle,
Jamais comblé, parfois dominateur,
Pour façonner l’antre ou la citadelle
De son destin fébrile et créateur.

Il cherche un socle et ne trouve que leurre,
Cadre mouvant, inconfortable abri
Qui, lentement, deviendra la demeure
Ou croupira son désir amoindri.

C’est l’âge mûr. Une lourde évidence
Empruntée aux valeurs de la raison
Après les jours d’éveil et d’espérance,
Bornera désormais son horizon.

Il aménage un monde à sa mesure
Où, reniant ses fabuleux essors,
La routine l’enfonce et le rassure,
Indifférente aux choses du dehors.

Sa pensée, autrefois, dans l’euphorie,
Resplendissait des feux de l’idéal ;
Le poids des ans la retient aujourd’hui
Dans la touffeur de son marais natal.

La vie, autour de lui, fait de la terre
Une utopie au cœur du firmament
Mais, calfeutré dans sa maison de verre,
Il n’en voit plus jaillir l’enchantement.

***

La conscience


L'objet dépend toujours, entité mesurable,
Corps neutre, ni bon ni mauvais,
De normes qui le font à bien d’autres semblables,
Une conscience, jamais.

Illogisme de la pensée, afflue en elle
Une foule de sentiments,
Désordre dont l’issue, au plus profond, appelle
Fidélités ou reniements.

Connaissance de soi, connaissance du monde,
Sa présence est sans doute aussi,
D’un regard incertain, la seule qui réponde
Au chaos de jours sans merci.

Elle a franchi le seuil et se veut étrangère
Aux tumultes vains du dehors,
Libre des mouvements de son vol éphémère,
Juge des vivants et des morts.

Libre ! Aux jeux de l’errance, aux vents de l’euphorie
Se consume la liberté.
La conscience éprouve, après la rêverie,
Déboires et perplexité.

Comment déterminer si le réel existe
Hors d’elle, avant d’être perçu
Et comment, à l’inverse, attendre que subsiste
Une âme où plus rien n’est reçu ?

Ces démêlés abstraits culminent dans le drame
Où l’homme aux voeux évanescents
S’afflige que, toujours, un silence proclame
L’indifférence des absents.

Il entrevoit soudain l’inanité de l’être,
Sa dépendance du néant
Puisqu’en lui toute chose, avant de disparaître,
Peut laisser un vide béant.

La conscience veille et vit à sa manière
Où se mêlent grâce et raison,
Y pénètre parfois un rayon de lumière
Mais l’ordinaire est sa prison.

Elle englobe le temps, souple, imaginative,
Se risque au-delà du concret
Jusqu’au vertige, alors, sa nature captive
Aux habitudes s’en remet.

Si l’esprit est obtus, si nul ne doit entendre
L’indicible trop loin, plus haut,
La conscience peut ici-bas redescendre
Où sur elle rien ne prévaut.

C’est le renoncement, la fin d’une promesse,
L’impasse où s’enferment les choix,
Ceux d’une conscience à qui seule s’adresse,
Monomane, sa propre voix.

Elle se veut durable et n’est qu’effervescence,
Bulle parmi l’humanité,
Elle se croit monade et n’est que différence
Au sein de la diversité.

Son existence aspire à quelque plénitude,
L’égotisme l’use et la perd,
Sa richesse est en l’autre, avec la multitude,
À l’unisson d’un monde ouvert.

La conscience plane au zénith ou dans l’ombre
Et le charme s’évanouit,
Sa vérité l’attend, éparse, dans le nombre
Où l’échange l’épanouit.

***

Hécatombes


Volatile comme le beau
La paix transcende la nature,
Sous l’emprise du renouveau
Le train du monde est déchirure.

Pourtant proche de l’idéal

Virgile chante Énée en guerre,
Dérive d’un cœur pastoral
Vers le réalisme d’Homère.

La réalité devant soi
C’est la force qui la façonne,
Les faibles grondent mais la loi
Les malmène et les abandonne.

Quand fleurit une vérité

Les hommes la coupent en quatre,
Morale ni fraternité
Ne les empêchent de se battre.

Fiers élans, nobles horizons,
Maximes vieillottes des sages
Nourrissent les péroraisons
Qui dégénèrent en carnages.

Sont-ils ignobles, sont-ils fous
Nos démiurges, sur la scène,
Pour exacerber les courroux
Et la vindicte dans l’arène ?

Non. Leurs vacarmes conquérants
Sont à la mesure des choses,
Tintamarres de figurants
Pleins du siècle et de ses névroses.

Chacun pour soi conçoit le bien,
C’est la règle que tout doit suivre,
Dans la jungle cosmique rien,
Sans exclure, ne peut survivre.

Si la norme de l’Univers où tourbillonne l’équilibre
A fait des autres nos enfers,
Le fleuve Achéron se voit libre.
L’innocence l’abondera !

« Il faut aimer la paix comme un moyen de guerres »,
Ainsi parlait Zarathoustra.
Pour la gloire, pour les bergères,
À jamais le sang coulera.

  ***

En lisant l'Enchiridion


«Nul ne peut te léser, si tu ne le veux point,
Car tu ne seras lésé que si tu juges qu’on te lèse" 

Manuel d’Épictète (maxime xxx)
par Flavius Arrien


Stoïcisme ! Aux géants seuls s’adresse
Ta leçon, école du refus
Où s’endurent les coups sans faiblesse !
Plaindre l’autre est alors politesse :
Le coeur lourd, sage ne serait plus.
Femme meurt, enfants, nulle détresse
N’a raison du courage accablé,
Ni le joug, ni l’orgueil exilé.

De pitié l’indomptable n’a cure,
Bien ou mal ne dépend que de soi.
Il suffit de vivre à sa mesure,
D’adhérer aux vœux de la nature,
D’éconduire l’envie et l’effroi.
Vers boiteux ! dîtes-nous la torture
Où, jambe aux brodequins, corps meurtri,
Épictète, l’esclave, a souri.

***

Qu’avons-nous fait depuis ?


Temps de fruits avortés et de tiges rompues,
D’instincts dénaturés, de raisons corrompues
Où, dans l’esprit humain tout étant dispersé,
Le présent au hasard flotte sur le passé.

Victor Hugo
Les chants du crépuscule
(«À Alphonse Rabbe»)


Car ce n’est pas aux événements passés que je tends
dans la crainte de commettre l’erreur très pernicieuse
de me les représenter autrement qu’ils ne se sont passés.
Mais c’est vers ce que je serai que je dirige ma course.

Saint Augustin
Le libre arbitre
(Livre II, paragraphe 61)


Nés parmi les horreurs d'outrances criminelles
Les enfants des martyrs, en héritiers fidèles,
Exècrent l’hydre du passé.
Elle envahit nos jours, malmène la mémoire
Et pourtant ce n’est pas la haine de l’histoire
Que réclame le sang versé.

Barbarie, holocauste, atrocités, carnage
Aucun mot ne convient, ni récit, nulle image,
Les rescapés, eux, se sont tus.
Sans feindre le pardon, sans demander vengeance,
Ils ont, pour dépasser le temps de leurs souffrances,
Espéré celui des vertus.

Utopique, le rêve a perdu sa lumière
Dans les reflets clinquants d’une ardeur justicière
Au message présomptueux.
Le désastre appelait une nouvelle aurore,
Notre échec, aujourd’hui, se dissimule encore
Derrière un drame monstrueux.

Quand montent les défis du nouveau millénaire,
L’opprobre de jadis s’attarde à satisfaire
Un zèle aride et bretailleur.
Le pire a profané d’un mal inexorable
Notre siècle nanti du progrès formidable
Qui nous annonçait le meilleur.

Nos pères ont lutté, que l’ombre défigure,
Qu’avons-nous fait depuis ? Le reste est imposture,
Mascarades à dénoncer.
Halte au chevalier blanc qui brade sa patrie,
Qui, de la Grande Guerre aux djebels d’Algérie
N’a plus que cendre à pourchasser !

Honte à ce harangueur, disciple d’une école
Où le peuple est tenu pour de la pâte molle,
Matière à de fumeux desseins !
Haro sur les sermons et procès rétrogrades
Qui ramènent le monde à l’heure des Croisades,
Braqué sur de faux lendemains !

Thème encombré d’humeur, de culte et de légende
Le souvenir des morts attendait pour offrande
La fraîcheur d’un souffle nouveau.
Les sonnailles d’un deuil long, lourd et sacrilège,
Ressassage morbide ou scléreux florilège,
Le trahissent face au tombeau.

L’idéal, à tous vents, s’envole des tribunes,
De plats amphigouris sur nos valeurs communes
Se donnent des accents vainqueurs.
C’est pour mieux prémunir, au nom de la routine,
Le mur des intérêts, la prudence mesquine,
L’esprit de clan contre les cœurs.

Cynisme, anachronisme ou fade gratitude,
Rivé sur d’autres temps, notre regard élude
L’exigeante réalité.
La tâche, devant nous, s’accumule et nous presse,
Honorons les anciens d’un sursaut de jeunesse,
La vie est générosité.

Mars 2004

***

Ici-bas


Règle de bienséance et vertu cardinale !
Exigez-vous un choix, pour dire la morale,
Entre l’ordre et la liberté ?
L’usage, la raison, le divin, la nature
Argumentent sans fin et la querelle dure,
Vieille comme l’humanité.

Les uns, passeurs d’espoir, prônent l’obéissance

Aux lois de l’univers, à la toute - puissance
Dont l’homme porte les valeurs.
La vérité prévaut ainsi sur le mensonge,
L’amour l’épanouit et la haine le ronge,
Il partage rires et pleurs.

Pour d’autres, notre espèce a pu rendre légales
Sanctifier des mœurs, des scènes infernales,
Servage, inceste, sang versé.
Peuples et citoyens se proclament sans maître,
La conscience libre apprend seule à connaître
Les limites de l’insensé.

Instruments de l’abstrait, le dogme et la prière,
Faute de nous convaincre, apostrophent la Terre
Où l’absolu n’existe pas :
La liberté se heurte aux contraintes du monde
L’ordre établi cahote et se mêle à l’immonde,
Dans les tourmentes d’ici-bas

***

L'esprit du monde


L’Univers est honnête. Indifférent ? Cruel ?
À nos yeux, oui. Pourtant, son cours habituel
Jamais n’enfreint ses lois, ne trompe sa nature.
Il a tant fait que l’homme, à la longue, est venu,
Nouvel enfant du monde après bien d’autres, nu
Mais le premier, sans doute, à chercher l’aventure.

Être fragile en proie aux célestes tourments,

Il a, pour tempérer l’ire des éléments,
Faute de les dompter, tenté de leur complaire
En les proclamant dieux. Rites, solennités,
Offrandes, rien n’y fit et ces divinités
Ne sont plus que bouffons dans notre imaginaire.

Leur lignée a grandi, toutefois. Sans rival,

Dieu le Père a régné, depuis, sur l’idéal
Au point de l’incarner, puissante métaphore…
Elle étancha longtemps notre soif d’absolu
Jusqu’aux «Lumières». Là, l’esprit s’est résolu,
Jaloux de son pouvoir, à s’élever encore.

Il s’est émancipé du joug du monde ancien,

Libre, il a recréé l’homme, le citoyen,
La morale, le droit, les valeurs sociales,
Édifice parfait, aux lignes sans défaut
Mais qui, pour notre coeur, s’avère bien trop haut,
Comme pour les dévots le sont les cathédrales.

Nous prônons le bonheur sur tous les continents

Et refusons de voir les drames permanents,
Le sort des miséreux qui sont à notre porte.
Au lieu de mieux armer la jeunesse à venir
Nous la surendettons et risquons, pour finir,
De bientôt lui laisser une planète morte.

Providence, magie, oracle sibyllin

Ne conjurerons pas le spectre du déclin.
Nos comportements seuls nous vaudront le naufrage
Ou le salut. Hélas ! Quand plane la raison
L’intérêt la dévoie et brouille l’horizon.
Un exemple suffit : parlons de l’esclavage.

Privilège des forts, pratique des vainqueurs,

Il a sévi longtemps et partout dans les mœurs.
Les progrès de l’esprit l’ont dénoncé pour crime
Et l’ont éradiqué mais visent, par surcroît
L’égalité de tous. Or, exalter le droit
Sans le traduire en fait n’est que pusillanime.

Aduler, de nos jours, l’argent, le capital,

L’intelligence même, est-ce encore normal ?
Que seraient ces trésors sans l’oeuvre manuelle ?
Elle est irremplaçable. En déplorer le «coût»
C’est mieux taire son prix, sa valeur, son ajout.
Nous ne survivrons pas sans changer de modèle.

L’esclavage s’estompe, à grand-peine aboli,

Mais nos usages lourds n’ont jamais établi
L’égalité qui, franche, attacherait un rôle
À chaque citoyen, régnerait sans statut,
État originel, intangible attribut
Que ne viendraient troubler ni caste ni contrôle.

Les principes sont mûrs mais nos mentalités

Savent leur opposer mille perversités
Pour que, malignement, l’égoïsme prévale.
Ainsi, le goût du jour juge de bon aloi
L’individualisme, où morgue et quant-à-soi
Font que jamais le faible au puissant ne s’égale.

Nous gardons un système où le lucre est moteur,

Qui fait du riche un grand, du pauvre un serviteur,
Où l’échelle des gains double la hiérarchie,
Où de viles raisons, des procédés impurs
S’obstinent à nier les moyens les plus sûrs
De garantir à tous une vie affranchie.

Il faudra, pour chasser tant d’errements fautifs,

Nous rendre à ce constat : nos biens sont collectifs
Car, c’est une leçon qu’enseigne la nature,
L’individu si fier de son identité
Ne serait rien, coupé de la communauté,
Élément non viable, atome sans structure.

Si la Terre nous trompe, interrogeons le ciel,

Cherchons la vérité dans l’ordre naturel
Où chacun pour sa part à l’ensemble se donne,
Et ne nous prenons plus pour l’être nonpareil
Qui jaugerait de loin l’électron, le soleil,
Sans avoir à subir la loi qui les façonne.

Elle est universelle, identique pour tous.

Se prétendre au-dessus, le vulgaire en dessous,
N’est que piètre façon de flatter notre espèce
Et de braver le monde et d’entrer en conflit
Avec son propre frère et d’en tirer profit
En invoquant la vie alors qu’on la transgresse.

Comment nous ressaisir ? La révolte et le sang

N’ont jamais ramené les nantis dans le rang
Ni fait que l'homme, enfin, trouve sa juste place.
Après l’avoir nourri de rêves prometteurs
Les suppôts du désordre et leurs inspirateurs
N’excellent qu’à toucher le prix de leur audace.

La nature nous dit d’atteindre un nouveau seuil

Où se renonceraient trop d’envie et d’orgueil :
Partout la vie exulte au mépris de la gloire…
L’esprit du monde est simple, intègre, c’est en lui
Qu’existe le bonheur. Les hommes d’aujourd’hui,
Conquérants fourvoyés, gagneraient à le croire.

***


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