ÉCHAPPÉES
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La
beauté
Que d’ombre il a fallu, combien de jours maussades
Que d’ombre il a fallu, combien de jours maussades
Et d’or aux ciels des nuits d’été,
De peuples besogneux, de tentatives
fades
Pour que surgisse la beauté.
Créature, elle emprunte au monde
perceptible
Nuances, rythmes et contours
Puis se voue aux mortels, essence
incorruptible,
Idéal, idole, recours.
Sa nature génère une grâce infinie
Dans l’allégresse ou la ferveur,
Sans règle ni raison, sa fête est
l’harmonie
Et son triomphe, le bonheur.
***
Le
troisième postulat
Bourbaki le prétend, son verbe ne
l’explique
Mais le fait n’en est pas moins
sûr,
Aux sommets lumineux de la
mathématique
Le Beau rayonne, sobre et pur.
Au seuil de l’absolu, l’entendement
balance
Entre deux postulats. L’un pose
l’existence
D’un modèle de l’univers,
Pour l’autre l’esprit seul crée
une cohérence,
Thaumaturge au dire pervers.
Des principes abstraits ni des
fantasmes d’hommes
Ne peuvent s’emparer du ciel,
Son ordre est inhérent à l’ensemble
où nous sommes,
À son mouvement naturel.
Ne cherchons pas ailleurs, c’est au
cœur de l’étoile
Que l’algèbre se tient, l’instinct
nous la dévoile
Source d’universalité.
Le monde vit en nous, même cours,
même moelle
Nous sommes sa réalité.
***
Baragouinage
d’électron
Une cause, un effet qui, soudain, se
fait cause,
L’engrenage furtif, sûr comme la
raison,
Entretient la croissance et la
métamorphose,
Incessant ravaudage et fraîche
floraison.
La nature est un nœud de rigueur obstinée
La nature est un nœud de rigueur obstinée
Où même l’incartade obéit à la
loi
Mais l’homme se veut libre et vit
sa destinée
Au-delà du réel, comme un acte de
foi.
Après avoir subi le joug de la matière
Après avoir subi le joug de la matière
Et souffert humblement la férule des
dieux,
Il s’est aventuré, plus mûr et
l’âme fière,
Au devant des non-dits de la Terre et
des cieux
Il a de fond en comble exploré sa planète,
Il a de fond en comble exploré sa planète,
Investi l’Univers, conquis par son
regard
L’ubiquité, pouvoir qui d’un
bond le projette
Dans l’espace quantique où règne
le hasard.
Le hasard ! Négateur des logiques du monde,
Le hasard ! Négateur des logiques du monde,
L’ordre indéterminé prouverait-il
enfin
La liberté ? Si l’être, au jugé,
vagabonde
Ses choix sont créateurs et forcent
l’incertain.
Libre, la particule anime le système
Où nous passons comme elle en
laissant notre écot ;
Bohème, le hasard, contingence
suprême,
En usera selon les humeurs de son
flot.
Cette exégèse, obscur produit de l’ignorance,
Cette exégèse, obscur produit de l’ignorance,
S’enhardit à gonfler l’acte et
l’événement
De virtualités, alors que
l’existence
Ne formule jamais qu’un seul
enchaînement.
Fulgurance impossible à saisir au passage,
Fulgurance impossible à saisir au passage,
L’électron volatil dérobe à son
tracé
L’origine et le but de son
baragouinage,
Brouillon que les chercheurs tiennent
pour insensé.
Son passage fuyant, cohérence ou
folie,
Est pourtant le support des choses
qui se font ;
Ce que nous en savons - écarts,
anomalie -
Dissimule sans doute un axe plus
profond.
L’observateur surprend une ombre
chimérique,
Elle ne lui dit pas, quand vibre
l’électron,
S’il obéit, porteur d’une force
cosmique
Ou virevolte en vain, fluctueux
moucheron.
Providence ou hasard, sa fortune changeante,
Providence ou hasard, sa fortune changeante,
Enserrée entre cause et probabilité,
Demeure dans l’étau d’une règle
exigeante
Car même le chaos exclut la liberté.
Modèle universel, ce contraste baroque
Modèle universel, ce contraste baroque
Affecte aussi l’esprit fertile mais
contraint
Par les enjeux du corps, du milieu,
de l’époque,
D’emprunter sa substance à tout ce
qui l’atteint.
Il n’est pas démontré que la moindre parcelle
Il n’est pas démontré que la moindre parcelle
Puisse échapper aux lois de la
nécessité,
L’immensité du ciel procède, à
son échelle,
De l’ordre omniprésent qui fait son
unité.
Le mouvement du monde est l’énigme dernière,
Le mouvement du monde est l’énigme dernière,
En détacher notre âme élude
l’embarras,
Pourtant, si la pensée habite la
matière,
Ô liberté ! Jamais tu ne nous
souriras.
***
Au-delà
du miroir
Tout-venant familier qui fourmille à
la ronde,
Exotisme troublant d’un voyage au
long cours,
Dans la diversité de l’espace et
des jours
L’homme ne laisse pas d’interroger
le monde.
Il en a reconstruit formes et contenu,
Il en a reconstruit formes et contenu,
Maître de la matière, il en dit la
mesure
Et les propriétés, les états, la
nature
Mais, devant son miroir, se perd dans
l’inconnu.
Son savoir, appuyé sur l’ample
certitude
Qu’exprime un univers de calcul et
raison,
Ne se retrouve plus dans ce proche
horizon
Que brouillent l’inconstance et
l’inexactitude.
Car, en nous, rien ne dure et rien n’est vrai ni faux,
Car, en nous, rien ne dure et rien n’est vrai ni faux,
Le flot des sentiments altère la
pensée ;
Nous ignorons d’ailleurs quelle
manne est censée
Transcender en concepts l’influx de
nos cerveaux.
L’espoir enraciné dans l’âme insaisissable
L’espoir enraciné dans l’âme insaisissable
Veut que frémisse en elle un souffle
du dehors,
Un éther, esprit pur hébergé dans
nos corps
Avant de s’envoler vers un sort
immuable.
Emblème de la foi, ce rêve est merveilleux
Emblème de la foi, ce rêve est merveilleux
Mais la réalité semble plus belle
encore,
Puissance en devenir, acte qui
s’élabore,
Insensible aux émois de nos cœurs
orgueilleux.
Gardienne du secret des êtres et des choses,
Gardienne du secret des êtres et des choses,
Leur évidence crue absorbe le regard
Qui, loin de tout comprendre, attribue
au hasard
Le train mystérieux des effets et
des causes.
Or, c’est dans le magma né d’un gouffre sans fond
Or, c’est dans le magma né d’un gouffre sans fond
Que s’ébauchent déjà les lois de
l’existence.
Un brûlant désir d’être appelle
cohérence
Et tire du chaos son mouvement
fécond.
Affluence effrénée, ondes et particules
Affluence effrénée, ondes et particules
Sortent de nulle part, se perdent
n’importe où
Mais l’ordre s’établit sur leur
manège flou
De frissons fugitifs et d’ombres
minuscules.
Prolifique remous d’un souffle
originel
Ce mélange édifie un savant
équilibre
Où, prodige à nos yeux, leur
multitude vibre,
Insondable support de la terre et du
ciel.
Parmi des tourbillons ardents comme
la flamme,
Énergie et matière émergent d’un
seul jet,
Présence qui suscite un élan, un
projet,
Annonce de l’étoile et prémices
de l’âme.
L’entendement suppose à ce cours ascendant,
L’entendement suppose à ce cours ascendant,
Faute de l’expliquer, une source
magique
À moins d’abandonner l’aventure
cosmique
Aux aléas fiévreux d’un
quelconque accident.
Sa continuité devrait taire le doute.
D’abord tohu-bohu, tumulte où rien
ne vaut,
L’univers s’émancipe et va
toujours plus haut,
Nourri du lent progrès qui jalonne
sa route.
Poussière interstellaire, astres, amas
en feu,
Croissance de la vie, une histoire le porte
Croissance de la vie, une histoire le porte
Et nous suggère un sens, une
exigence forte :
Ouvrir la conscience, irréfragable
enjeu.
Elle distingue en nous l’esprit de la
matière,
L’une, que nous touchons, et
l’autre, volatil
Mais s’il ne faisait qu’un, ce
faux couple subtil,
S’il formait le substrat de la
nature entière ?
Les nier, les confondre en un seul
élément,
L’hypothèse semblait hier extravagante ;
Viennent la renforcer l’attitude
arrogante
Des quanta, les écarts de leur
comportement.
Monde vertigineux de peuplades
espiègles,
Tissu d’imbroglios, météores
mutants
Dont les échanges fous se font sans
lieu ni temps,
C’est de ce branle abstrus que
procèdent nos règles.
Jaloux de ressembler à Celui qui le
fit,
L’homme l’a modelé selon sa
propre image.
Son véritable auteur se montre sans
visage,
Maelström indifférent, force ou
matière, esprit.
Une foule fertile en forme la
substance,
Elle transite en nous, sa conscience
éclôt,
L’énigme que renvoie une glace est
le flot
De sa complexité, de son effervescence.
L’être qui se dérobe au-delà du
miroir,
C’est le monde, son flux, son erre,
nous ne sommes
Qu’un pas dans l’aventure, elle a
besoin des hommes,
Eux-mêmes ne sauraient pourtant la
concevoir.
***
Un
songe inachevé
Bon gré mal gré compagnons
solidaires,
Proches ou non parmi les vents
contraires,
Nous partageons ici-bas chaque jour
Deux seuls désirs : la survie et
l’amour,
Thèmes latents de toute joie ou
peine,
Ressorts profonds de l’épopée
humaine.
Pourquoi ce double élan -ou cet appel
- ?
Quel sens aurait le fait surnaturel
De préserver notre sort éphémère
Dans l’au-delà ? Pour quelle fin
dernière ?
Notre destin serait-il un enjeu
Dans les fracas de l’univers en feu
?
Témoins du ciel, ni mages ni chapelles
N’ont su lever ces doutes infidèles
Où s’égare la foi. Dès lors
l’esprit
S’est projeté dans l’espace
interdit,
Vers les confins de son enceinte
immense,
Jusqu’aux secrets d’une infime
présence.
L’espace est clos. Abysses,
firmament
Ne sont peuplés que d’un seul élément ;
Matière inerte, vie, homme, pensée,
Tout est venu sous la même poussée
Dont l’effort sidéral semble
exprimer
Le besoin d’exister, celui d’aimer.
Être, s’unir pour que l’être
perdure,
S’éteindre… un cycle enferme la
nature,
Léger remous dans l’uniformité.
Abasourdi par tant d’absurdité,
L’esprit revient sur Terre où
l’espérance,
Même déçue, est la dernière
chance.
Du monde, il a tout vu mais rien
ailleurs,
Ni la clarté de lendemains
meilleurs,
Eden au cœur de son imaginaire,Ni
l’extase posthume et salutaire,
Aucun acmé, rien ne s’est élevé
Nulle réponse au songe inachevé.
Il interroge, au fond de cette impasse,
Un long passé que son ego ressasse.
Trop de hasard dont il serait issu
Le heurte. Alors, a-t-il été conçu
Pour assumer la suite insoupçonnée
Du temps, l’ouvrir à quelque
destinée ?
S’il infléchit le cours universel,
Si le cosmos, grand ensemble mortel,
À travers lui commence à se
connaître,
C’est que toujours, avant de
disparaître,
Chaque chose a transmis un peu de soi
Mais il est seul à demander
pourquoi.
Mieux qu’un écho, plus sûr qu’une
promesse
Le mouvement lui réplique et le
presse,
Idée en marche, apport de vérité,
Fait créateur de la réalité,
Pour nous facteur d’infortune et de
chance
Dont les à-coups forgent la
conscience.
Elle grandit mais l’homme doit finir
La laissant après lui sans avenir.
Comme un relais se prend et puis se
donne,
Elle surgit de l’ombre et
s’abandonne
À l’appétit du monde, à son
essor,
À l’entité que voile un beau
décor.
Que l’homme vive et, pour vivre,
qu’il aime
Ne mène à rien, sinon au monde même
Où nous errons et qui change
toujours.
Nous révélons pourtant que son
parcours
N’émane pas d’une matière nue :
La pierre vit. Sa force contenue,
Incoercible au sein des tourbillons,
A malaxé leurs mélanges
brouillons
Et nous voici, nouvelle cohérence,
Esprit et corps d’une seule
substance,
Celle du monde, où siègent son
pouvoir,
Son unité,son acte, son espoir.
Elle chemine en nous. Toute la Terre
Fut
un creuset pour l’âme solitaire
Où règne, singulier dans l’univers,
Le libre choix qui rend l’homme
divers.
Libre ? Divers ? Illusion, sans
doute…
Inexorable, unique est notre route.
Après avoir fait de l’individu
L’inconsolé du paradis perdu,
La conscience ouvre, imaginative,
Une autre voie et devient collective.
C’est tout le genre humain, en
l’élevant,
Qui participe à sa fuite en avant.
Est-ce un essai propre à notre planète
?
Est-ce une fugue osée à
l’aveuglette
Avec d’autres, au loin, pour propager
L’esprit profond du chaos passager
?
Ne plaignons pas nos rêves, nos
outrances :
Le monde est un faisceau
d’invraisemblances.